Aucune étude archéologique ou historique ne fonde l’état actuel des connaissances sur l’origine du village. Si la présence de potiers est attestée en 1260 à Achères et au cours des siècles suivants dans plusieurs villages au plus près des affleurements d’argiles de Myennes et au pourtour de la « Principauté de Boisbelle », le hameau de La Borne n’apparaît dans les textes qu’en 1606. Propriété depuis 1605 de Maximilien de Béthune, futur Duc de Sully, la principauté accueille la construction de la ville d’Henrichemont ainsi nommée en l’honneur du roi Henri IV. La Borne est située sur la limite séparant la principauté et les terres de Maupas – et donc actuellement sur les communes d’Henrichemont et de Morogues – à mi-distance de la ville en chantier et des filons de terre1. Le nouveau village attire les ateliers de poterie d’alentour qui s’y installent au début du 17ème . L’argile locale est ce grès qui vitrifie à haute température et permet d’obtenir des récipients étanches. La production destinée à l’agriculture, à la conservation des aliments, à l’architecture et à la vie quotidienne est largement diffusée jusqu’au 19èe. Les fours immenses où cuisent les saloirs, appartiennent à plusieurs patrons qui emploient des ouvriers dont les différents métiers couvrent les étapes de fabrication et de cuisson. Le nom de Talbot, d’origine écossaise, mais aussi ceux des Foucher, Panarioux, Saulet, Bedu, Guilpain, Girault… restent dans l’histoire ; au17 ème siècle et au 19 ème les créations originales d’objets figuratifs de Jacques-Sébastien Talbot (1769-1841) puis de Marie Talbot (1814-1874) sont entrées dans les musées. Les potiers-imagiers signent leurs œuvres. Marie Talbot est sans doute la première femme potière-sculpteure à revendiquer sa propre création d’un Fait par moi Marie Talbot. La Première Guerre mondiale, les bouleversements sociaux, l’exode rural, les nouveaux matériaux venus remplacer la terre pour les objets domestiques concourent à la lente extinction de la poterie traditionnelle. Mais la céramique ne connaîtra pas d’arrêt à La Borne. Joseph Massé (1878-1946), Armand Bedu (1891-1966) et François Guillaume (1901-1969) ouvrent discrètement de nouvelles voies entre les deux guerres. La Seconde Guerre mondiale favorise même le renouveau. La venue, en 1942, de Paul Beyer2 (1873-1945), artiste céramiste reconnu, et surtout la construction de son four à bois à flamme renversée conçu pour l’usage d’une personne - petit volume 0,5 m3 et unique alandier - vont déterminer l’avenir bornois. L’atelier d’Armand Bedu est ouvert aux jeunes artistes ainsi qu’à François Guillaume, qui y pratique lui-même la céramique depuis plusieurs années, alors qu’il est négociant en Arts de la table à Bourges ; il passe commande aux premiers sculpteurs installés pendant la guerre, Jean Lerat et André Rozay puis à Jacqueline Bouvet qui seront quelques temps ses salariés. Ces pionniers sont ensuite rejoints par des artistes céramistes, issus d’écoles d’art, souhaitant privilégier le volume et la matière dans une autre esthétique que celle du décor et de la couleur représentée à partir de 1946 par Vallauris et Picasso. Ainsi, viennent vivre à La Borne et à ses alentours : Vassil Ivanoff, Pierre Mestre, Élisabeth Joulia, Yves et Monique Mohy, puis Anne Kjærsgaard, Jean Linard, Claudine Monchaussé, Gwyn Hanssen-Pigott ; chacun ouvre un atelier et construit son four à bois3. Le nombre de céramistes ne cessera d’augmenter dans les décennies suivantes : les anciens élèves ayant suivi la formation des Lerat partis vivre à Bourges pour enseigner à l’École des Beaux-arts4, les étrangers attirés par les fours à bois, les tourneurs qui s’installent après la fermeture de l’entreprise Digan Grès5. Aujourd’hui, une centaine de céramistes, potiers, sculpteurs, artistes de la matière, riches d’une douzaine de pays, vivent dans une quinzaine de communes autour de La Borne.
Une histoire à écrire
Le court résumé ci-dessus est l’histoire telle qu’on la présente aujourd’hui avec ses manques puisqu’aucune fouille n’a été effectuée ni à La Borne, ni aux alentours, et sans considérations sociologiques sur la place de La Borne dans l’histoire de la céramique française. On se flatte que La Borne soit renommé dans le monde entier de la céramique, et on s’afflige qu’un sondage montre que le nom de La Borne n’évoque rien pour une grande majorité de Berruyers. Depuis quand la notoriété d’un village de potiers a-t-elle pu dépasser nos frontières ? On notera que Marc Pillet l’auteur de Poteries traditionnelles en France de 1980 à nos jours, paru en 1992, Dessain et Tolra et réédité en 2007 par les éditions de La Revue de la céramique et du verre, n’est pas très objectif. Il écrit dans son paragraphe, La Borne, village fermé : Cet isolement, cette vie sur soi, entraînait (ou avait pour cause) un individualisme très fort qui faisait considérer comme suspect ou négligeable tout ce qui était étranger au village. Les poteries traditionnelles ont pourtant été vendues dans de nombreuses régions françaises, par bateaux sur la Loire et jusqu’en Louisiane, ou par voies de terre notamment vers le Limousin.
Dès le milieu du une céramique utilitaire et artistique est conçue et réalisée par des artistes encore entourés par des ouvriers artisans. Jules Ziegler ou les Greber installés dans le Beau- vaisis redécouvrent le grès. Les céramistes du dernier tiers du19 ème siècle  apprennent leur métier dans des manufactures parfois familiales puis choisissent la création dans un atelier individuel. Influencés par les grès japonais présentés lors des Expositions Universelles, par Jean Carriès et ses suiveurs, l’école de Carriès, ils sont nombreux à réaliser des pièces uniques signées, à innover dans la céramique architecturale ou les recherches d’émaux…
A partir de 1941, les Pionniers bornois, qui venaient d’ailleurs, ont révolutionné la poterie traditionnelle, en instituant un atelier et un four pour un créateur, à la suite d’Armand Bedu, François Guillaume et Paul Beyer. Leurs biographies montrent qu’ils exposent souvent dans des salons, des galeries parisiennes et à l’étranger depuis 1945. (cf. Les Pionniers de la céramique moderne La Borne, chronologie des artistes, 2018 p. 224 à 231). Chacun représente La Borne dans des pays aussi divers que la Grande-Bretagne, le Japon, le Brésil, l’Italie, la Suède…
Le Musée de Bretagne de Rennes, expose un Potier de La Borne sur un « tour à vache », grès au sel sur pâte chamottée, daté autour de 1944, modelé par Louis Delachenal6 (1897-1966). Cette statuette – h. 35,5 cm, L 36 cm – est-elle inspirée par un voyage à La Borne ?
Vassil Ivanoff et plus tard Anne Kjærsgaard se sont d’abord installés à Saint-Amand-en-Puisaye, en suivant l’exemple de Jean Carriès, avant d’arriver à La Borne. Pierre Mestre est lui conquis par le grès et les œuvres de Paul Beyer. Pie Raymond Regamey, prêtre dominicain, directeur de la revue L’Art sacré, vient rencontrer les Lerat en 1948, tout comme Bernard Leach en 1950 ou François Mathey en 1953. Friedensreich Hundertwasser vient vivre quelques mois en 1949 chez Vassil Ivanoff ; plus tard Mickael Cardew vient rencontrer Gwyn Hanssen Pigott et Pierre Mestre.
L’attrait de La Borne se développe encore après l’arrivée de la seconde vague de pionniers, plus jeunes. D’autres artistes et céramistes renommés, venus soit en visiteurs soit en apprentissage, ont été influencés par les sculpteurs et potiers bornois au cours des années 60-70. Robert Deblander a longtemps hésité à créer son atelier à La Borne ou près de Saint-Amand-en-Puisaye ; toute sa vie il regrettera ne pas avoir choisi La Borne dont il se sentait plus proche. Jean Derval après un apprentissage à Saint-Amand-en-Puisaye est venu travailler à La Borne. Gustave Tiffoche après un stage à Ratilly et une participation au Symposium de 1979 est resté, selon Bernard Thimonnier : un « bornois dans l’âme », inspiré par le grès et les œuvres de Jean et Jacqueline Lerat, un sculpteur aux « yeux tournés vers La Borne ».
Claude Champy témoigne : « Il y a bientôt 50 ans, je suis passé à la Borne pour la première fois sans savoir grand-chose de la poterie. En trois jours, j’y ai croisé Yves Mohy, Élisabeth Joulia, Anne Kjærsgaard, Jean Linard, Vassil Ivanoff, Pierre Mestre et les Lerat à Bourges. Ma vie a basculé. J’ai construit un four à bois. »7. Bernard Dejonghe se souvient précisément des œuvres de Jean et Jacqueline Lerat, d’Yves Mohy et d’Élisabeth Joulia, entre autres, vues en 1963 au Musée National de Céramique à Sèvres, etc.
Ainsi, La Borne retrouve une activité par les artistes qui exposent ailleurs et reçoivent à La Borne leurs collègues étrangers. Yves Mohy écrit : « Nous avons vécu dans la clairière pendant longtemps, presque ignorés du reste de la France… mais pas du reste du monde : bizarrement on voyait parfois passer un anglais… un japonais, connaisseurs, par je ne sais quels détours, de la terre de La Borne et de ce qu’en faisait le feu de bois. »8.
Aujourd’hui, les potiers ne s’installent plus près des filons de terre, les matières premières voyagent. Que reste-t-il des villages de potiers de grès traditionnels ? Comment ont-ils surmonté les crises ?
Le plus proche, sur les mêmes filons d’argiles de Myennes et dont l’activité n’a pas été inter- rompue, est Saint-Amand-en-Puisaye.
Saint-Amand a certainement plus tôt et plus longtemps que La Borne concentré de gros ateliers ou petites manufactures, ce qui a conduit à la construction d‘une école, le CNIFOP, en 1976 pour former des ouvriers qui, en fait, n’ont jamais été embauchés par les entreprises locales. Le projet privé non abouti, de pépinières, pour accueillir pendant une année des jeunes potiers diplômés afin de leur permettre la mise au point d’une production, était une très bonne idée. Depuis une quinzaine d’années, des ateliers individuels se sont ouverts, mais aucune association ne les relie pour des actions communes, malgré plusieurs tentatives. Au contraire à Treigny, une association accueille des expositions au centre du bourg dans un ancien couvent. Mais un seul professionnel adhérent habite actuellement la commune.
Dans le Beauvaisis, 17 ateliers éloignés les uns des autres ont été regroupés en une associa- tion des Céramistes de l’Oise en 1991. Une présence céramique se maintient à Beauvais, au musée départemental qui possède d’importantes collections et à l’école d’art du Beauvaisis qui propose des résidences et des expositions de céramiques artistiques.

En Alsace, Betschdorf est un village de grès traditionnel à l’émail gris aux décors de cobalt, cuits au sel. Il ne reste que trois ateliers.
En Normandie, plusieurs villages ont eu une activité céramique à base de grès. Un musée de la céramique-Centre de création, dans une ancienne poterie à Ger (Manche) conserve la mémoire du passé et organise des animations grand public et professionnelles.
Sars-Poterie (Nord) est actuellement plus connu pour la création en verre que pour les pots en grès salé dont la fabrication a disparu. Louis Mériaux à l’origine du renouveau de Sars-Poterie est venu rencontrer les Lerat pour la première fois en 1951.
À Noron-la-Poterie (Calvados), l’argile grèse entre 1160 et 1250°C. Une entreprise poursuit la fabrication traditionnelle.
En 2007, Marc Pillet n’indique plus La Borne sur sa carte de France des principaux ateliers et centres potiers. Cette carte aujourd’hui, n’aurait plus qu’un seul gros point, bien au centre : La Borne.
Reste donc La Borne, le plus petit village, pas même une commune, qui rassemble aujourd’hui le plus grand nombre d’ateliers en France, avec ses alentours proches, et certainement le plus grand nombre de fours à bois, à l’échelle européenne.
Ainsi les deux premières vagues d’arrivées d’artistes ont forgé une renommée au village à une époque où le grès devenait « à la mode ». Alain Girel et Jeanne Grandpierre y arrivent en 1973 : « L’installation à La Borne ne fut pas un hasard. Alain et Jeanne (…) étaient attirés par ce petit village potier du Berry, devenu un phare pour toute une génération appelée par la matière austère du grès, la cuisson au bois. »9. Ils y restent dix ans.
Alain Girel est à l’origine de « l’événement qui change tout », le Symposium de 1977 et il plante sans doute aussi la graine d’un centre céramique plus ambitieux.
Le Symposium (cf. p.75) est une rupture avec les pionniers ; il est l’œuvre de jeunes d’ici et d’ailleurs qui assurent à La Borne sa renommée pour deux générations en lui donnant une dimension internationale. Ce sont des invitations, lancées à des collègues dans d’autres régions et pays, à venir réaliser leurs céramiques, essentiellement des sculptures de tous les styles, et les cuire dans une aventure humaine qu’est la cuisson au bois d’un four traditionnel dont aucun d’eux n’a l’expérience.
Ensuite en 1981, la création de la commission Artiste Invité et des expositions personnelles innovent dans le milieu professionnel associatif. L’Association des Potiers de La Borne pour- suit son objectif d’accueil, de présentation d’œuvres
 
En 1990, La Borne en feu conforte La Borne comme un lieu incontournable et toujours en activité. De même en 2010, l’ouverture du nouveau centre participe à la renommée. La céra- mique peut être montrée dans un bel écrin par un groupement professionnel sans ressources propres (cf. p. 119).
Depuis 2015, les Grands Feux démontrent chaque année le dynamisme de l’association qui initie, fédère et coordonne. Tous ces événements, toutes les grandes et petites Rencontres, se déroulent grâce aux potiers et céramistes, souvent aidés par les habitants, amis et en collabora- tion avec le Centre de Céramique Contemporaine La Borne.
Mais la notoriété de La Borne se développe également grâce aux expositions et aux déplace- ments des Bornois en France ou à l’étranger, et grâce aux artistes-céramistes de passage ou à ceux qui vivent ici seulement une partie de l’année. Ils relaient et diffusent les particularités de la vie et l’esprit bornois.

2 - Paul Beyer avait depuis 1932 un atelier inconfortable, exposé aux bombardements, sur le site de l’ancienne Manu- facture de Sèvres (Haut-de-Seine). Il est envoyé à La Borne en 1942 pour relancer la création céramique. Le four, dont les plans ont été dessinés à Sèvres par Louis Delachenal, est construit, par la Société coopérative des artisans du Loiret et financé par la Caisse d’Épargne d’Orléans propriétaire des forêts qui entourent La Borne.
3 - Les différents types de fours à bois présents sur le territoire potier bornois ont été présentés dans le livret La Borne PLEINS FEUX 2018, édité par l’ACLB en 2018.
4 - Jean Lerat (1913-1992) enseigne de 1943 à 1978. Il fera construire un four à bois, de 700 l. de type Sèvres, à deux alandiers, d’après les plans de Gensoli dans l’école puis dans son atelier à Bourges. L’atelier de céramique de l’école des beaux-arts est démoli en 1976, un four d’1 m3 sera reconstruit dans les nouveaux locaux de l’atelier de céramique qui sera ensuite fermé de 1988 à 2013.
Jacqueline Lerat (1920-2009) enseigne de 1966 à 1988.
5 - Digan Grès est une entreprise créée par Pierre Digan (1941-2016), arrivé en 1960 à La Borne, pour répondre au succès - à partir de 1967 - de ses services de pièces utilitaires et de céramique architecturale. Il emploiera une cinquantaine de personnes aux différents métiers de la production, de 1970 à 1979

Livre de Nicole Crestou La Borne : potiers et céramistes, cinquante ans de vie associative 1971-2021